Il faisait nuit, une nuit sombre et sans étoiles. Auréolé d’un flegme et d’un silence étrangers à cette contrée, les rues de la Citée des Caravanes semblaient désertes, abandonnées. Formes effrayantes et louches silhouettes rasaient les murs des quartiers, trahis par les lueurs de belvédères vacillants. Creuse et étouffée, une complainte sembla s’entonner sourdement, comme si le cœur de l’immense métropole se frappait d’une agonie sépulcrale.
De leur lucarne, seuls les insomniaques attentifs purent constater que dans l’enceinte d’Iodar, des torches au bouquet bleuâtre s’enflammèrent tour à tour, reflétant sur l’ardoise des chaumières et commerces l’ombre de clandestins encapuchonnés de noir. Nimbés de leur flambeau céruléen, les préfets de la nuit s’étendaient en formations écliptiques dessinant une auguste cible dans les bourgs, se déployant dans l’immensité de l’horizon de la ville. Leur berceuse se fît requiem, leurs décibels prenant en intensité et en mélancolie. Alors qu’à vol d’oiseau l’on pût voir toute la capitale scintiller de ces cercles azurés, le chant funèbre des cultistes s’emporta en de vives toquades, tirant les vieillards et enfants de leur lit. La brillance des luminaires des fanatiques, maintenant torsadés d’émeraudes et de pourpre, augmenta d’éclat au point où l’on crut un instant qu’une sphère enveloppa Iodar en entier. Il faisait nuit, une nuit sombre désormais éclairée de centaines d’étoiles dans les ruelles désertes.
Le cérémonial atteint un paroxysme alors que les lamentations du rituel firent ciller les clochers des temples, l’illumination des cercles brilla a en faire rendre aveugle puis la noirceur et le silence tombèrent simultanément. De longues secondes d’angoisse pesèrent alors sur Iodar, soumise à un rituel délétère en cette nuit obscure. Puis, les hurlements d’innombrables loups lacérèrent le silence. La symphonie lugubre de ces aboiements dura d’interminables instants, faisant trémuler de peur tous les citoyens de la ville envahie de bêtes sanguinaires. Des loups noirs, d’un nombre à couper le souffle, fonçaient en tous les sens dans la métropole, défonçant les barricades et pillant les commerces. L’hystérie se répandit comme une traînée de poudre, engloutissant Iodar en des cris d’agonie et les grognements des immenses chacals. Une nuit d’épouvante, dans laquelle bon nombre de citoyens périrent aux mâchoires claquantes des loups. S’entassant dans les temples et les forteresses de la ville, les résidents de la Citée des Caravanes se virent encerclés de toutes parts de ces canidés aux yeux jaunes injectés de sang, les contraignant à fortifier leurs asiles pour survivre à cette nuit d’horreur.
Assiégeant la ville de tous ses fronts, les loups à la taille démesurée et à la vitesse sidérante avaient su prendre parfait contrôle des accès et pavés des quartiers, dominant les forces militaires en puissance et en stratège. Seuls quelques kierans, des guerriers Alavelahs aux fines lames, parvinrent à faire sombrer dans la mort quelques loups, les traquant par le biais des toits de la ville et en fondant sur eux en des maelstroms de coups de sabre. L’écho des craquements de caravanes chargées de vivres résonnait dans les avenues de la place marchande, les loups déchiquetant les ressources des peuples pour leur couper toute ration d’espoir. Du haut des tours de la maison de la famille Evloch furent enfin lancées des myriades de globes de feu, accordant ainsi aux rangs des assiégés une riposte digne à faire tomber les monstres. C’est des enchantements de l’un des sorciers de cette même famille que fut publiée la vérité sur les assaillants, le sorcier tentant de désenchanter les créatures difformes qui semaient l’effroi et la mort. Son astuce réussie et leva le voile sur la véritable identité des bêtes : des druides. Voilà qui était véritablement l’ennemi. Les cultistes de la nuit précédente s’étant tous mutés en féroces carnassiers de par leur funeste rituel, tout portait à croire qu’Iodar subissait en ce temps les assauts d’un mystérieux groupe druidique.
Repoussant les assaillants par les flammes et les arcanes des érudits, le peuple parvint à reconquérir sa ville bien que toutefois, les loups n’eurent été rabroués non pas plus loin qu’aux portes de la ville. Tournant en de vastes rondes, les canidés aboyaient violemment, encerclant la cité jalousement. Iodar, inondée maintenant de pluies diluviennes en un matin de deuil, se voyait fermée du monde extérieur, prisonnière de ses propres murs. Les loups conjurant toutes entrées et sorties de caravanes, tous surent qu’il ne suffirait que peu de jours pour que la faim ne l’emporte sur la Citée des Caravanes. Des renforts vinrent des dunes de sables et de Jerth, formant un front assez étanche pour disperser les rôdeurs des alentours d’Iodar. Toutefois, depuis cette nuit, le nombre de caravane quittant et pénétrant l’enceinte du Carrefour commercial du continent diminua grandement, puisque demeura la crainte envahissante d’une nouvelle attaque.
Gardes et sentinelles épiant nuits et jours l’horizon de la ville, Iodar est maintenant proie d’une paranoïa incessante. Le loup qu’avait transsubstantié à nouveau en druide le sorcier de la famille Evloch fut étudié, sur lequel on découvrit nombre de breloques et reliques s’attribuant au culte de Néolth le Nécromant.
Les postulats et suppositions fusèrent, comment se faisait-il qu’un groupe de druides rendait culte au défunt nécromancien, et qui plus est, prit en proie Iodar en cette nuit cauchemardesque? Néolth était-il de retour? Tentait-on de lui faire une offrande de sang pour étendre l’emprise de son ombre? Les interrogations se multipliaient et les réponses fuyaient en ces jours de déluges pluviaux suivant cette nuit d’aberrations. Certains devaient bien savoir, oui, savoir ce qui avait bien pu pousser ces cultistes à tenter de dévaster Iodar en une nuit?